Par Aissatou KOUROUMA
Il est des gestes qui traversent le temps non parce qu’ils provoquent, mais parce qu’ils révèlent. En mars 2005, à New York, Amina Wadud accomplit l’un de ces gestes rares : elle dirige une prière musulmane collective du vendredi. Ce jour-là, plus qu’un acte religieux, c’est une question fondamentale qui est posée au monde musulman — et au-delà : qui peut porter la voix du sacré ?
Une intellectuelle au cœur du texte
Amina Wadud n’est ni une figure médiatique surgie de nulle part, ni une militante détachée du savoir. Elle est universitaire, spécialiste des études islamiques, reconnue pour son travail rigoureux sur le Coran et son interprétation à la lumière de la justice, de l’éthique et de la dignité humaine.
À travers ses ouvrages majeurs, notamment Qur’an and Woman et Inside the Gender Jihad, elle propose une lecture du texte sacré qui ne nie pas la tradition, mais l’interroge avec fidélité et courage. Son point d’ancrage est clair : le Coran s’adresse à l’humanité entière, et non à un genre particulier.
New York, 18 mars 2005 : un seuil franchi
Le vendredi 18 mars 2005, à New York, Amina Wadud dirige une prière du vendredi dans un contexte exceptionnel. La prière est collective et mixte, l’imamat est assuré par une femme, et l’événement est public.
L’onde de choc est immédiate. Soutiens discrets, incompréhensions franches, oppositions virulentes, débats théologiques mondiaux : le geste dépasse largement la salle où il a lieu. Il devient un symbole planétaire.
Il est souvent affirmé qu’elle fut la première. L’histoire invite à plus de nuance : elle fut surtout la première à le faire ainsi, publiquement, à cette échelle, sous le regard du monde. Et cela suffit à inscrire ce moment dans l’histoire contemporaine de l’islam.
Entre foi, conscience et résistance
Amina Wadud n’a jamais présenté son acte comme une provocation. Elle l’a toujours inscrit dans une démarche profondément spirituelle. Pour elle, il ne s’agissait pas de contester l’islam, mais de rappeler que l’autorité spirituelle n’est pas une propriété biologique.
Elle parle de Gender Jihad — non comme d’un combat contre la foi, mais comme d’un effort intérieur et collectif pour restaurer la justice, valeur cardinale du message coranique. Un jihad de la conscience, de la responsabilité et de la fidélité au sens profond du texte.
Ce que son geste a ouvert
Vingt ans plus tard, l’acte d’Amina Wadud continue de résonner. Il a ouvert des espaces de réflexion, encouragé des initiatives spirituelles inclusives, inspiré des femmes à réinterroger leur place, et rappelé une vérité souvent passée sous silence : la pluralité a toujours existé dans l’islam.
Son geste n’a pas clos le débat — il l’a rendu impossible à ignorer.
Une mémoire vivante.
Amina Wadud n’est pas une icône figée.
Elle est une mémoire vivante, parfois dérangeante, souvent incomprise, mais essentielle. Elle rappelle que la spiritualité, lorsqu’elle est sincère, n’a pas peur de la vérité ni du courage.
Son héritage n’est pas une injonction à imiter, mais une invitation à réfléchir :
Et si la fidélité au sacré passait parfois par l’audace d’écouter ce que l’Esprit murmure en dehors des cadres établis ?